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Les Fables de La Fontaine et Hitler

 

Cette fois-ci pas de brève biographie consacrée à l’auteur. En effet Jean-Yves Mass est un illustrateur assez peu connu du grand public et les sources le concernant sont peu exhaustives. À grande peine trouve t’on sur la toile une numérisation d’un article du Journal, daté du dimanche 24 décembre 1939, évoquant son ouvrage intitulé Les Fables de La Fontaine et Hitler. Les catalogues en ligne nous apprennent qu’il a illustré de nombreuses oeuvres en compagnie de Denise Collot, principalement pendant et après la Seconde Guerre mondiale, notamment des contes pour les enfants comme Le sifflet magique ou Deux bons amis. Dans ce livre illustré, le dessinateur nous dévoile son talent pour la caricature et s’inscrit dans la droite ligne de nombreux auteurs français qui dénoncent la montée du nazisme dans les années 1930. La méconnaissance des Français pour le danger représenté par Adolphe Hitler pour la sécurité en Europe est alors important. À titre d’exemple, seul deux éditions de Mein Kampf, accompagnées de mises en garde des éditeurs, sont parues en France. La première d’entre elles, publiée dès 1935 chez Fernand Sorlot, est liée à la droite nationaliste germanophobe. C’est le même éditeur qui publie en 1939 le recueil illustré par J.-Y. Mass et D. Collot, joignant ainsi à la dénonciation de la personne et des actes du chancelier allemand, l’illustration d’une fable bien connue de la population. On note que dès le 28 août 1939, la Propagandastaffel, organe de propagande du IIIe Reich, instaure sous l’occupation allemande un contrôle des imprimés. Ce livre est inscrit sur la liste d’Otto Abetz, l’ambassadeur d’Allemagne, et censuré ce qui débouche sur la destructions de nombreux exemplaires.

Couverture de l'édition originale

Technique

 

Le dessin réalisé par J.-Y. Mass a recourt au fusain pour les contours des figures et à l’encre quadrichrome pour les couleurs. Son trait, assez simple représente les personnages sous des atours assez naïfs dans un environnement bucolique qui se prête bien à l’illustration de la fable de La Fontaine. Les couleurs utilisées renforcent La planche est signée en bas à droite J. Y. Mass 1939. L’image est entourée d’un trait noir simple et mesure 13,85 centimètres de largeur pour 19,55 de hauteur.

Description

 

Au premier plan se trouvent trois grenouilles. Les deux premières se situent au bord d’un court d’eau qui occupe la partie inférieure droite de l’image. La dernière des grenouilles bondit sur un nénuphar posé sur l’eau. Le personnage central de l’image est la Grenouille de la fable, assise sur une berge d’herbe verte parsemée de roseaux, de marguerites et de coquelicots éparses, qui s’étend jusqu’au deuxième plan. Sa tête est celle d’A. Hitler, pourvue de sa mèche et de sa moustache caractéristiques. Elle tient un miroir dans sa patte droite. Ses joues sont empourprées à cause du gonflement provoqué par la pompe à vélo, activée par une autre grenouille, probablement sa sœur, qui se situe à sa gauche. Elle adopte un air renfrogné devant la tâche à accomplir. Le dernier personnage, sur la droite, est une autre grenouille sautant sur un nénuphar au milieu du court d’eau, elle ouvre la bouche, l’air hilare.     
Au deuxième plan, dans la partie supérieure de l’image, se situe le Bœuf qui occupe à lui seul plus d’un tiers de l’image, son corps est de profil gauche et ses pattes s’enfonce dans l’herbe, sa queue dépasse légèrement du cadre de l’image. Son cuir est roux pourvu de taches blanches qui représentent l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, à la manière d’un schéma de découpe de la viande. Il arbore une expression de surprise devant la tentative de la Grenouille et s’occupe à brouter paisiblement l’herbe à ses pieds. Derrière lui se situe une barrière de bois qui semble délimiter la parcelle d’un champ.
Au troisième plan s’ouvre un paysage bucolique fait de champs crème et jaune que l’on distingue assez mal derrière le Bœuf. Ces champs sont plantés de trois cyprès stylisés. La ligne d’horizon est également plantée d’arbres aux couleurs tirant sur le rouge pastel. Le ciel, au dessus du Bœuf tire sur le jaune.

Analyse

 

C’est là un dessin très politique que nous offre J.-Y. Mass. Les couleurs pastel évoquent le cadre intemporel et bucolique dans lequel doit se situer une fable. Rompant avec ce cadre, la moralité du dessin se réfère à l’intention d’A. Hitler d’élargir l’espace vital de l’Allemagne, le lebensraum, ambition initiée par l’annexion des Sudettes le 3 octobre 1938. À la vanité du Führer, s’ajoute son narcissisme évoqué par la présence du miroir qu’il tient en patte. L’auteur du dessin se plaît à grimer les intentions du personnage, volontairement décrites comme irréalistes. L’auteur semble également condamner l’attitude du Bœuf, hébété face à la tentative de la Grenouille, qui le « menace » pourtant ouvertement et de rapprocher ce comportement de celui des grandes puissances européennes à la veille du conflit. On peut donc parler d’une forme de pamphlet sous la forme d’un dessin : la condamnation des revendications hégémoniques de l’Allemagne se trouve illustrée par une fable de La Fontaine.

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Jean-Yves Mass