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L'illustrateur

 

Jean-Jacques Grandville, pseudonyme de Jean Ignace Isidore Gérard, est principalement connu pour ses activités de caricaturiste, illustrateur et lithographe français né à Nancy en 1803. Issu d’une famille d’artistes et de comédiens, c’est son père, amateur de peinture et miniaturiste qui lui apprend très tôt le dessin. Sa famille exploite alors le café de la Comédie à Nancy. Attaché d’abord à représenter les membres de sa famille ainsi que les spectacles de rue et les représentations théâtrales, il développe un goût pour la caricature. Il s’entraîne à cette forme d’expression en recopiant des modèles empruntés au magazine satirique Le Nain Jaune et se forge une opinion libérale, républicaine et anticléricale. Ses dessins, emplis de créatures anthropomorphiques mi-hommes mi-animaux deviennent sa marque de fabrique. Installé à Paris à l’âge de vingt et un ans, il publie peu après un recueil de lithographies intitulé Les Tribulations de la petite propriété. Après plusieurs autres publications, il se fait connaître grâce à ses illustrations dans Les Métamorphoses du jour, publié en 1829, dans lequel il met en scène des personnages humains pourvus de têtes d’animaux représentant chacun un rôle dans La Comédie humaine de Balzac. La plupart de ses caricatures sont des attaques contre la monarchie de Juillet. Monarchie qui, en 1835, sous l’impulsion d’Adolphe Thiers rétablie la censure et oblige les caricaturistes a obtenir une autorisation préalable avant de publier. Harcelé par la police il se tourne vers l’illustration de livres, dont ceux d’Honoré de Balzac. En 1838 il illustre les Fables de La Fontaine en ayant recourt à son style habituel. Le reste de sa vie, marqué par les deuils familiaux, il perd en effet sa femme et ses trois enfants des suites de maladies entre 1834 et 1847. Tombé gravement malade et frappé de crises de folies, il s’éteint dans une clinique de Vanves.

F. Chauveau par Emile Lassalle

Technique

 

La technique qu’utilise J.-J. Grandville est la gravure sur bois de bout inventée au XVIIIe siècle par l’anglais Thomas Bewick et qui se propage en France à partir des années 1830. Elle consiste à travailler le bois au burin perpendiculairement au sens des fibres, ce qui garantit une finesse quasiment identique à la gravure sur cuivre. L’inconvénient majeur de cette technique est le recours aux intermédiaires inversés. Grandville trace directement son dessin sur le papier avant d’effectuer d’éventuelles retouches sur la matrice en bois, jusqu’à ce qu’il soit satisfait du résultat avant impression. Grandville a recouru pendant près de dix ans aux services d’Auguste Despéret, graveur parisien, qui réalisa pour lui les impressions.

Description

 

Le dessin est l’original sur papier conservé à la bibliothèque de Nancy. Il mesure 22,8 cm  millimètres de largeur pour 21,1 cm de hauteur. Il diffère des reproductions dans la mesure ou le niveau de détail est beaucoup plus élevé, en raison de la technique utilisée qui fait disparaître, lors de l’impression, une grande partie des détails et assombrit considérablement l’ensemble. Les reproductions portent toutes le sigle J. J. G. (Jean-Jacques Grandville) dans leur partie inférieure gauche.
Au premier plan, le centre de l’image est occupé par un groupe de quatre personnages anthropomorphiques qui occupent à eux seuls près des deux-tiers de l’image : deux bourgeois, accompagnés de leurs majordomes qui semblent fixer le lecteur. De gauche à droite, on voit un petit majordome aux traits simiens portant de hautes bottes, des chausses noires, une veste à boutons de couleur clair et un haut de forme orné. Il est accompagné par son maître, la Grenouille, vêtue d’ escarpins pointus de couleur noir, de chausses blanches, d’une veste et d’un veston et qui arbore un large tour de coup fermé par une boucle de métal ornée d’une pierre. Ses bras sont croisés au niveau de sa taille et elle tient son haut de forme dans ses mains. À sa droite se tient le majordome du Bœuf, qui adopte les traits d’un Boxer allemand, légèrement en retrait dans l’ombre de son maître, les bras le long du corps. Il porte de longue bottes claires et des chausses noires. Sa veste à boutons est ouverte et laisse voir un tour de coup blanc, sa tête est surmontée d’un haut de forme noir. Il semble regarder la Grenouille et adopte un regard que l’on peut qualifier de dubitatif. Le Bœuf, à la droite du groupe, porte des bottes en cuir et des chausses claires, son veston est boutonné et son col discret. Ses mains se situent dans les poches de son long manteau, sa tête est ceinte d’un haut de forme clair aux larges bords. Les personnages qui composent ce groupe adoptent une attitude passive, à l’exception de la Grenouille qui est cabrée en arrière et gonfle démesurément sa poitrine, comme pour se donner de l’importance.
Au deuxième plan, à gauche des personnages, se trouve une foule de personnages anthropomorphes vêtus à la manière du XIXe siècle. On distingue parmi eux un renard les bras croisés dans le dos qui semble observer la foule. À la droite des personnages, se situe un majordome occupé à nettoyer les roues d’un coche.
Au troisième plan, en haut a gauche de l’image se situe un arbuste qui borde un long mur surmonté d’une ferronnerie ouvragée. On devine une porte, dissimulée par la stature du Bœuf. Seul l’un des chambranles est visible, il adopte la forme d’un pilier surmonté d’un vase décoratif. Au delà du mur, on devine le faîte de plusieurs arbres. Le ciel, au dessus, est uniforme.

Analyse

 

L’ensemble adopte la forme d’une scène de rue à Paris au XIXe siècle. Grandville choisit de placer la fable de La Fontaine dans un univers qui lui est contemporain et familier. Il choisit de croquer l’un des défauts de son temps et ainsi d’actualiser la morale de la Fable. Dans son dessin, le Bœuf est clairement personnifié, ce qui est loin d’être le cas pour de nombreuses illustrations de ce conte. Toutefois, son attitude reste passive, comme s’il n’avait rien à prouver. La Grenouille représente ici un double archétype, celui de la fable originale et celui du « petit bourgeois », cherchant à se donner plus d’importance qu’il n’en a. Cette sensation est renforcée par le regard du majordome du Bœuf, volontiers surpris par tant de vanité.
Grandville reste donc sur son terrain de prédilection, celui de la caricature, qui s’accompagne dans cette image d’une critique à caractère social.

Jean-Jacques Grandville .jpeg
La Grenouille et le Boeuf Grandville .jpeg

Jean-Jacques Grandville